Bien-être des marins en Afrique francophone

L’ICMA tenait en octobre dernier sa 11e conférence mondiale sous le thème de « 50 years of Working Together for Seafarers, Fishers and their Families ». À cette occasion, 264 délégués des 27 organisations regroupées au sein de l’ICMA se sont réunis pendant près d’une semaine à Kaoshiung, Taïwan. Nous avons profité de cette occasion pour discuter avec quelques-uns des participants œuvrant en Afrique francophone. Nous vous proposons un portrait de quatre d’entres eux, de leur travail et des enjeux liés aux missions qu’ils font rayonner auprès des marins le long des côtes africaines.

Tout d’abord, voici une brève présentation des quatre aumôniers interviewés :

Arnaud De Boissieu – Le père Arnaud De Boissieu, prêtre catholique de la Mission des prêtres ouvriers de France, exerce son ministère auprès des marins depuis 19 ans. D’abord à Marseille pendant 12 ans, il est établi depuis les 7 dernières années à Casablanca, au Maroc. Œuvrant au sein de l’Apostolat de la mer, il ne supervise pas de foyer maritime, mais effectue exclusivement des visites à bord des navires en escale, service qui n’existait pas avant son arrivée à Casablanca.

Célestin Ikomba – Le père Célestin Ikomba de la congrégation des fils de la charité est basé au port d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Il œuvre au sein de l’Apostolat de la mer depuis 2003. En plus d’être aumônier au port d’Abidjan, il assume la responsabilité des aumôniers de la pastorale de la mer en Côte-d’Ivoire et est coordonnateur régional pour l’Afrique Atlantique, région regroupant 36 ports de Casablanca au Maroc à Matadi en République démocratique du Congo.

Silvie Boyd – Originaire d’Allemagne, Silvie Boyd travaille depuis presque deux ans comme aumônière au port de Douala au Cameroun pour la Deutsche Seemannsmission en compagnie de son équipe composée de 3 personnes qui comme elle, soutiennent les marins internationaux qui abordent au Cameroun. Cette mission en activité depuis 56 ans, est jumelée à un hôtel et un restaurant qui en assurent le financement, mais dont la gestion s’ajoute aussi aux responsabilités de l’aumônière en charge.

Alain Djeutang – Originaire du Cameroun, Alain Djeutang travaille depuis plus de 20 ans comme aumônier des gens de mer à la Réunion, département français de l’archipel des Mascareignes dans l’océan indien. Son ministère s’exerce au sein de la Sailors’ Society à la Réunion, où il travaille aussi comme aumônier militaire. Le foyer de la mission qu’il supervise accueille chaque année plus de 8000 marins desservis par une équipe de 3 employés salariés appuyés par le travail de jeunes du service civique.

Au cours de nos discussions avec les quatre délégués, nous avons abordé certains enjeux plus précis nommément la perception de leur travail dans les ports, les défis particuliers au contexte de chacun, l’importance du réseautage pour les aumôniers œuvrant en Afrique et leurs réflexions sur les besoins et les opportunités pour l’avenir.

La visibilité et la compréhension du travail des missions diffèrent selon les contextes particuliers de chacun. Ainsi, malgré un bon accueil des autorités locales, le rayonnement de la mission du père De Boissieu au Maroc est tributaire du contexte du travail dans un pays musulmans comme le Maroc où le ministère n’est autorisé qu’avec les étrangers. Le père Ikomba rappelle quant à lui les défis de la communication et de la présence continuelle dans ce ministère qui en est un de contact. Une part importante du ministère de l’aumônier en Afrique francophone est d’assurer la visibilité de la mission et de vulgariser le travail avec tous les acteurs de la vie portuaire. La présence quotidienne est essentielle ajoute-t-il.Il constate une amélioration dans la perception et la compréhension de son travail en Côte-d’Ivoire auprès des acteurs de l’industrie maritime qui réalisentl’impact positif du travail des aumôniers. S’il y a quelques années il fallait négocier et convaincre pour parvenir à visiter les bateaux, désormais cette étape va de soi et les énergies peuvent être consacrées à la mise en place de plan d’action. Selon Mme Boyd toutefois, il reste beaucoup de travail à faire pour sensibiliser les autorités camerounaises au bien-être des marins, à la réalité de leurs conditions de vie et à la nature concrète du travail des missions auprès d’eux.

Des défis particuliers marquent aussi les ministères d’une zone à l’autre. La question de la piraterie au large des côtes africaines est bien connue. Si l’opération Atalante dans la dernière décennie a permis une amélioration de la sécurité dans la région de la corne de l’Afrique, comme le souligne Alain Djeutang, les marins restent craintifs de traverser cette zone maritime. Dans les dernières années, la situation de la piraterie dans le Golfe de Guinée est devenue beaucoup plus sensible et les interventions auprès des équipages traumatisés par les attaques sontplus fréquentes en Afrique de l’ouest. Silvie Boyd souligne la peur et l’angoisse des marins qu’elle rencontre et qui demeurent sur les navires, même au port. La crainte non fondée nous dit-elle qu’ils soient kidnappés sur terre pousse les armateurs à refuser le débarquement des marins qui demeurent confiner sur les navires, comme sur des prisons. Le contrôle moins encadré qu’en Europe par exemple, rend plus compliqué l’obtention des permis pour débarquer aux marins et peuvent mener plus facilement à des abus par certains armateurs. Mme Boyd rapporte aussi une situation où des collectes de dons frauduleuses ont été faites au nom de la mission. Pour le père De Boissieu, une difficulté particulière au travail dans un pays musulmans tient au fait que certains capitaines hésitent à demander la messe sur les navires de peur de froisser les autorités locales. Pourtant, comme nous dit le père De Boissieu, il n’en est rien alors que les autorités marocaines ont beaucoup de respect pour les manifestations de religiosité sur les navires.

Au fil des conversations, il est ressorti qu’un sentiment de distance ou d’isolement guette les aumôniers œuvrant en Afrique francophone renforçant d’autant plus la nécessité pour chacun d’eux à s’impliquer dans les différents regroupements et à saisir les occasions de se rencontrer physiquement. La conférence de l’ICMA a certainement renforcé leur conviction des retombées positives de leur participation à l’événement. Le père De Boissieu exprimait l’importance pour le moral de rencontrer les collègues venus de partout à travers le monde et dont la présence témoigne du fait qu’il n’est pas seul dans son travail, mais est soutenu mondialement. Alain Djeutang a lui aussi insisté sur l’importance des échanges entre collègues lors de ces réunions dans lesquelles il est possible de partager ses soucis et ses angoisses, trouver des solutions et profiter de l’expérience des autres participants en vue d’une adaptation dans le contexte spécifique de chacun. Il a appuyé ses propos par un exemple de son expérience. C’est en effet lors d’une rencontre du FNAM de France (Fédération nationale des associations d’accueil des marins) qu’il a découvert l’existence du programme de service civique présenté par un collègue et qui permet à des jeunes de venir faire du bénévolat dans son foyer depuis quelques années. Silvie Boyd a pour sa part discuté de l’importance du réseautage et du partage des expériences, particulièresau contexte africain qui est difficile à comprendre pour les gens de l’extérieur qui n’y ont jamais œuvré, et ce malgré toute l’expérience qu’ils peuvent parfois cumuler sur d’autres terrains.

Au-delà de la conférence tenue à Kaoshiung en octobre et du réseautage qu’elle a stimulé, certaines réflexions et certaines pistes de développement ont été suggérées par les délégués d’Afrique francophone. D’abord, quelques-uns ont réfléchi à la possibilité que soit créée dans l’ICMA une section propre à l’Afrique. Ensuite, la barrière linguistique pouvant être un frein pour certains délégués francophones présents ou non à la conférence, le souhait a été émis pour des ressources accrues et pour un regroupement francophone allant au-delà des regroupements régionaux. Enfin, pour aider les nouveaux venus sur le terrain africain, il a été proposé de développer des ressources rassemblant l’information sur les différentes missions à l’œuvre en Afrique afin d’accélérer l’adaptation des aumôniers à leur nouvel environnement, d’améliorer la circulation de l’information entre les ports et de favoriser le développement du réseautage.Finalement, le père Célestin Ikomba, exprimant sa vision pour les prochaines années résumait:L’objectif des regroupements doit-être de« poursuivre le travail pour la connaissance mutuelle des organisations qui interviennent dans le domaine maritime ».

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